La France et plus particulièrement la région Auvergne a été le théâtre d'une dégradation orageuse particulièrement virulente au début de mois de Juin 2022. A l'heure où j'écris ces lignes , beaucoup d'endroits en portent encore les stigmates. 

En tant que chasseur d'orage , j'ai eu la chance de pouvoir me rendre disponible pour profiter pleinement de cette situation météorologique exceptionnelle et j'ai pu vivre et photographier des instants dont je ne m'autorisais que le rêve depuis plus de 10 ans. La matière et les événements vécus ont été suffisamment denses pour me permettre aujourd'hui la réalisation d'un authentique récit photographique relatant cette dégradation du 2-3-4 Juin 2022 dans ma localité que voici. 

Bonne lecture.

 

 

2 JUIN 


Une dégradation orageuse est  prévue pour la fin de d'après-midi dans la Haute-Loire et le sud-est du Puy de Dôme. Accompagné de Florent Courty , je me rends dans le sud-est du département afin de me rapprocher de la zone d'action. J'ai reçu ma cellule de déclenchement pour photographier la foudre diurne il y a quelques jours. J'ai donc hâte de l'essayer. Notre timing est quasi parfait et nous arrivons sur place alors que les 1ère cellules font leur apparition dans la zone visée. Il est alors tout juste 18h00.

 


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Rien de très virulent mais une cellule plutôt esthétique qui nous gratifiera d'un joli arc en ciel dans son sillage de précipitation.

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Aux alentours de 20h00 , de nouveaux orages semblent tenter de faire leur apparition légèrement plus au nord et à l'ouest. Nous opérons donc un très léger replacement afin de profiter de ces nouvelles cellules. Si leur intensité est très faible , les lumières du soir désormais approchant apportent un rendu particulièrement esthétique à la scène. J'installe l'appareil sur le trépied avec la cellule de déclenchement , en priant pour quelques impacts qui malheureusement ne se matérialiseront jamais.

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Alors que ces petites cellules s'évacuent par le nord-est , de nouvelles bases plus prometteuses font leur apparition à l'ouest de notre position. Il est alors 21h00 , et l'éclairage du couchant crée de magnifiques jeux de lumières entre les bases sombres des nuages et des précipitations.
 

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La cellule la plus proche de nous se renforce visiblement et d'impressionnantes grappes de précipitations compactes ( = downburst ou rafale descendantes) s'extirpent désormais de la base du nuage pour aller s'écraser au sol.

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L'orage continue de se rapprocher de notre position et le soleil de l'horizon... L'instant est magique (même si je regretterai l'absence de foudre , qui aurait été la cerise sur le gâteau).

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Foudre qui ne se manifestera qu'un peu plus tard , sous des cellules un peu plus en retrait de notre position

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Si la foudre continue de s'abattre,  mon attention est vite détournée par une très belle cellule venant du sud-ouest et se rapprochant rapidement de nous.

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La nuit est maintenant tombée. La cellule qui ne faiblit pas illumine désormais le ciel de ses nombreux éclairs , mettant particulièrement en valeur sa très belle structure mésocyclonique.

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Nous commençons à rentrer dans la zone de précipitations de l'orage , qui est sur la fin de toute façon. A presque 23h00 , il est temps de rentrer. Une excursion déjà fort bien remplie et réussie , mais qui n'est pourtant rien comparé à ce qu'il m'attend sur les 2 jours suivants...

 

 

 

3 JUIN

 

 

On prend les mêmes et on recommence. Le scénario de début de dégradation est extrêmement similaire à celui de la veille. Des orages sur le nord de la Haute-Loire/sud du Puy de Dôme et un potentiel de moteur gauche important. En conséquence, mon placement est quasi similaire à celui de la veille , à quelques kilomètres près,  la seule différence étant que je suis seul aujourd'hui.
Je suis à destination un peu avant 19h , encore une fois juste à temps  pour le début des festivités.  A mon arrivée le ciel est toutefois excessivement peu lisible. L'éclairage ambiant crée un voile atmosphérique très opaque  , et je ne devine rien de bien particulier, si ce n'est une masse sombre et des bases tournées vers le Nord.
L'orage se rapproche de ma position de toute façon , je n'ai donc qu'à patienter. La distance nous séparant s'amenuisant , je vais tôt ou tard finir par mieux voir et comprendre ce à quoi j'ai à faire.

 

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C'est effectivement et éventuellement le cas. Alors que le temps passe , je commence à deviner plus précisément l'allure de l'orage. De beaux petits rabaissements , des débuts de stries à l'étage moyen et une bande d'alimentation en formation par le nord trahissent la nature mésocyclonique du courant ascendant. Il s'agit donc bien d'un moteur gauche , encastré dans une ligne d'orage.

 

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La cellule continue de se renforcer en se rapprochant. Son allure est particulièrement impressionnante , et l'on discerne désormais un virulent pied de grêle sous la base proche du centre de la cellule. Mon coeur commence à battre plus fort. Je comprends que je ne vais pas devoir trop traîner devant la bouche du monstre.

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Hélas , comme c'est souvent le cas , je suis hypnotisé par l'ampleur de la bête et la beauté de la scène , et je traine un peu trop. Je réalise ces ultimes clichés et sprint jusqu'à ma voiture pour déguerpir.

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La route de fuite est extrêmement sinueuse et j'échappe in-extremis à la correctionnelle. Je fonce du plus vite que je peux , le cœur battant. J'ai la sensation d'être poursuivi par un Balrog. C'est à la fois extrêmement grisant et terrifiant. J'ai eu de la chance pour cette fois ci. Cela ne sera hélas pas le cas pour mon ami Florent Courty situé plus au nord…

 

 

 

Je peine à distancer l'orage qui remonte plein nord. Je parviens enfin à sortir légèrement de sa trajectoire au nord de Thiers. Je peux enfin mettre fin à cette folle cavale , sortir de la voiture et recommencer à shooter.

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Le soleil couchant offre un spectacle époustouflant. L'addition de mon taux d'adrénaline crevant le plafond et la magie du moment me fait complètement sortir de moi même. Je suis dans un état second , complètement assommé  , drogué , grisé par la situation.J'ai l'impression de vivre un rêve extra-lucide dont je peux me réveiller à tout moment.
 

Je savoure cet instant et cette sensation si rare et unique , qui restera gravée dans ma mémoire pour longtemps.

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De nouvelles cellules semblent se former à l'ouest. Toujours dans un état second , je m'avance dans un champ et installe l'appareil sur le trépied avec la cellule de déclenchement dans l'espoir de capturer ses 1ers impacts.

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La cellule est désormais toute proche .La pluie commence à tomber , des rampants toujours plus proches et descendant mais pas de foudre. 
 

Alors que je me saisis de mon trépied pour modifier un peu mon cadrage , je ressens une franche décharge électrique me traverser le corps. Je reviens brusquement à la réalité. Dans mon ivresse, je n'ai même pas réalisé que je me suis avancé assez loin dans le champ , dans une position assez exposée , et que l'orage tout proche représente désormais un réel danger pour moi. 
Pris de panique , je me jette à terre. Quelques secondes plus tard , un autre rampant jailli de l'orage au-dessus de moi. Je me hâte de jeter tout le matériel dans la voiture et de me replier un peu plus loin.


Je vais rester là un moment , à contempler le doux spectacle qui s'offre à moi , à enfin prendre le temps de redescendre un peu émotionnellement et de digérer tout ce que je viens de vivre au cours de ces dernières heures.

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Une demi-heure plus tard , Florent me rejoindra , lui aussi encore bien secoué de ce qu'il vient de vivre. Nous débrieferons ensemble  de nos aventures sur un point de vue un peu plus élevé , en profitant d'un distant mais néanmoins beau spectacle keraunique qui viendra clore cette folle journée.

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4 JUIN

 

 

 

Cette journée s'annonce comme étant la plus épicée des trois. Tous les paramètres sont réunis et en abondance : CAPE, hélicité, forçages , tout  peut laisser espérer un beau défilé de supercellules tout au long de la journée selon les modèles de prévision numérique. Reste à savoir si la réalité confirmera.

Je suis rejoint en début d'après midi par Karine Desbordes avec qui je vais partager cette chasse.
Le début d'après-midi est plutôt mou .Beaucoup de petites cellules peu précipitantes et peu actives naissent et meurent cycliquement dans les mêmes zones. Nous prenons notre mal en patience sous la lourde chaleur estivale et un soleil de plomb. 

 

Ce n'est que vers 17h30 qu'une cellule visuellement plus prometteuse fait son apparition sur le massif du Sancy

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Je décide d'un replacement pour se rapprocher un peu plus de la cellule mais me fait complètement surprendre par l'importante déviation du flux directeur que l'orage se met soudainement à entamer . Il part alors quasiment plein Est dans un flux Sud/Sud-Ouest. Je me retrouve rapidement piégé , sans point de vue , au ras de bases de la cellule. Perdu pour perdu , je stop la voiture et réalise tout de même quelques clichés impressionnants de la base , alors pratiquement au zénith de ma position.

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J'improvise comme je peux et j'arrive à trouver un semblant de vue vers le nord. Alors que la supercellule s'éloigne , je peux contempler par l'arrière la vigueur et l'intensité de son courant ascendant.

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Nous nous remettons en route vers un spot plus au nord , pour intercepter les nouvelles cellules déjà prometteuses qui pops  au radar. Nous traversons (de façon non intentionnelle) le sillage de l'orage qui vient de nous frôler. C'est à notre grande surprise que nous tombons sur une végétation complètement hachée et des grêlons monstrueux... Cela doit faire 10 ans que je n'étais pas tombé sur de tels spécimens. Nous ne pouvons nous empêcher de nous arrêter un moment et de constater,  abasourdi , l'ampleur des dégâts. Finalement nous avons eu beaucoup de chance...
 

(crédit photos : Karine Desbordes)


 

Un peu choqués de ce que nous venons de trouver, nous finissons tout de même d'arriver à notre destination initiale. J'en profite pour manger un peu et contempler les superbes jeux de lumière que l'atmosphère propose aujourd'hui.

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Une cellule jeune et vigoureuse exhibera une belle enclume ornée de mamatus en s'évacuant plus au nord est de notre position  

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Un split vient de s'opérer loin à l'ouest de notre position. Le moteur droit , pourtant distant , m'apparaît déjà comme hors norme , tant en structure qu'en dimension.

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Je continue à photographier la supercellule pendant un long moment. Je n'en aurai pas conscience sur l'instant à cause de la visibilité assez mauvaise due au voile atmosphérique , mais plus tard, au traitement des images , je réaliserai que j'ai peut être immortalisé un phénomène exceptionnel…

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Je ne sais honnêtement vraiment pas quoi penser de ce que je vois... 

Je sais que les fractus des nuages-mur sous les supercellules peuvent souvent donner l'illusion de phénomènes tornadiques , mais ce cas là me laisse perplexe...La forme, le positionnement (théoriquement parfait , à l'arrière du RFD, à la pointe de l'enroulement du mésocyclone, là où les tornades sont censées se produire quand elles se produisent ) , l'ampleur de la cellule etc... J'ai du mal à classer cela au rang de simple "illusion d'optique" , même si  c'est peut être le cas. 
 

J'ai essayé de me renseigner (rapidement, sans vraiment creuser) , je n'ai pas trouvé à priori de traces de dégâts particulier rapportés dans les journaux sur internet dans la localité où cette hypothétique tornade aurait sévi. La zone correspond à des endroits particulièrement ruraux et peu habités , donc il est possible que le phénomène soit aussi passé inaperçu.
 

Si des personnes plus compétentes et expérimentées que moi dans le domaine lisent ces lignes , sont intriguées , et veulent tenter une analyse de cas plus approfondi , n'hésitez pas à me contacter. J'ai d'autres images d'avant et après la manifestations de ce phénomène avec les heures précises etc si besoin.


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Je referme cette parenthèse et reviens dans la temporalité du récit. 
 

 

Un peu après ce cliché , nous décidons de nous replacer sur un point de vue un peu plus dominant. Dès l'arrivée sur place , c'est l'exultation. La supercellule est mature, imposante , seule , magnifique , sublimée par une lumière de coucher de soleil dorée. Depuis que j'ai commencé la chasse à l'orage , je rêvais de vivre et de pouvoir immortaliser un instant comme celui-là. J'ai bien du mal à contenir mon émotion et ma joie.

 

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En se rapprochant, la cellule perd un peu de son esthétisme alors que le ciel se charge un peu plus , mais qu'importe , j'ai déjà eu ce dont je pouvais rêver de mieux.

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Le soleil a désormais passé l'horizon , mais les hostilités ne sont pas fini pour autant. Une grosse ligne d'orage se profile dorénavant au loin. Les flashs et rampants incessants illuminent régulièrement les grosses enclumes pleines de mamatus. L'ambiance devient plus sombre et pesante , mais terriblement savoureuse.

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Petit morceau d'ambiance en vidéo:

 

 

Alors que la menace se rapproche , je comprends rapidement que la ligne n'est pas une simple ligne et qu'une énorme supercellule , encore plus imposante que toute celle dont j'ai pu croiser la route aujourd'hui est attachée au sud du système. Je deviens nerveux quand je réalise que le point de vue où je me trouve est situé très (bien trop) proche de la trajectoire qu'elle va emprunter. Karine tente un peu de me rassurer, sans grand succès. A la vue de ce qu'il y a déjà défilé aujourd'hui  , je n'ai vraiment pas envie de passer dans le noyau dur du monstre.

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La bête approche à grands pas. La spectacle est hallucinant. La structure de type HP semble avaler le paysage à toute allure, alors que l'activité électrique stroboscopique déchire constamment la pénombre , renforçant encore plus l'aspect anxiogène d'une telle vision. Encore un instant que je ne suis pas prêt d'oublier.

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Finalement le monstre nous frisera les moustaches , et passera immédiatement au nord de notre position , ravageant l'intégralité de la ville de Vichy sur son passage , avec des grêlons mesurés jusqu'à plus de 8 cm(!) de diamètres.

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Ce bouquet final de tous les superlatifs viendra clore cette situation orageuse , qui restera pour moi comme une des plus belle et riche que j'ai eu la chance de voir de toute ma vie.
Fatigué , rincé (aussi bien physiquement qu'émotionnellement ), mais heureux , je rentre paisiblement chez moi. Je dis au revoir à Karine qui doit encore couvrir la cinquantaine de kilomètres qui sépare son domicile du miens.
Je mettrai plusieurs jours à ne plus voir instantanément des mésocyclones et des cieux tourmentés à chaque fois que je ferme les yeux.

 

En espérant avoir réussi à vous transmettre un peu de mes émotions et de ma passion au travers de ce récit , je vous remercie de votre lecture et vous dit à bientôt !